La route de Bordas à Campsegret en 1825

Extraits du Mémoire sur la route de Bordas à Campsegret

par le capitaine Estignard en 1825

           Le pays est sec et aride, sans culture et couvert de bois et de bruyère surtout entre Saint-Mamet et Bordas. Les approches de Campsegret présentent un aspect assez sauvage et le sol est moins ingrat. Cette contrée est tellement montueuse qu’il semble que l’auteur de la nature n’ait voulu dans beaucoup d’endroits donner aux vallons, ou plutôt gorges étroites qui forment les interstices, que la largeur nécessaire pour marquer les coupures qui séparent les coteaux entr’eux. Le ruisseau de la Crempse est le seul important. Il prend sa source à 4500 m à l’est de Saint-Mamet et va se jeter dans l’Isle au dessous de la petite ville de Mussidan. Il fait mouvoir un grand nombre de moulins, deux forges à battre et sert à plusieurs tanneries. Il traverse la route à Saint-Mamet. Il est guéable dans toutes les saisons, particulièrement dans le territoire dessiné par ma carte. Il est encore quelques autres petits ruisseaux alimentés par les eaux pluviales. Parmi les premiers sont ceux du Mourliac, de la Roussille, de Campsegret et de la Seyssie ; ils font aussi tourner quelques moulins. On ne découvre nulle part ni étang, ni marais, ni flaques d’eau. Il existe seulement deux grandes mares, l’une à droite, l’autre à gauche de la route.

             Les bois dont ce pays est couvert offrent peu de variétés le chêne et le châtaignier sont presque les seuls arbres de la grande espèce qu’on y rencontre. On trouve cependant quelques noyers dans les vallons et dans le voisinage des habitations, mais le châtaignier est l’arbre par excellence, on le remarque partout, c’est l’arbre cher au peuple, il pourvoit à sa nourriture ainsi qu’à celle de ses bestiaux, il lui donne un chauffage abondant, lui procure les bois propres à la construction de ses bâtiments, sa gousse et son feuillage fournissent un bon engrais à ses terres.

            La température est douce, l’air sain, quoique les vents du sud-est et du sud-ouest y règnent fréquemment. Les hivers et les printemps y sont ordinairement très pluvieux, les étés fort secs et les automnes presque toujours agréables. Les eaux de source sont assez rares mais d’une qualité salubre. Quant aux métaux, le fer y est universellement répandu ainsi qu’on peut s’en convaincre par le seul aspect du sol, sans avoir besoin d’aucune exploration intérieure. La première couche est le plus souvent une terre martiale recouverte par une si grande quantité de pyrite et de pierre ocracées qu’on serait tenté de croire qu’elle repose sur une masse entièrement ferrugineuse. On trouve près de Saint-Mamet une carrière de pierres. Elle ne peut résister aux intempéries de l’air.

           Si l’habitant de Bergerac et de sa banlieue annonce par la propreté de ses vêtements, l’élévation de sa taille, l’assurance de son maintien qu’il jouit de l’aisance que donne un terrain libéral et une industrie manufacturière et commerciale, il n’en est point ainsi des individus épars sur le territoire dont j’ai à faire la reconnaissance. Ils portent visiblement l’empreinte du sol ingrat qu’ils cultivent ; ils sont petits, assez mal conformés et offrent un aspect triste et malheureux. Ils sont plongés dans la plus profonde ignorance et manquent totalement d’aptitude et d’énergie. Attachés à leur vieux préjugés rien ne pourrait les en affranchir aussi l’agriculture n’y a fait aucun progrès (…)

            Le sol produit peu de céréales, la pomme de terre et la châtaigne sont la seule nourriture des habitants. Néanmoins en raison de l’isolement dans lequel ils vivent, chaque famille possède un four. Il résulte de cet état de choses qu’ils sont infiniment plus nombreux que ne l’exige la consommation des lieux. À peine quelques uns de ces fours sont-ils employés douze à quinze fois par an à la cuisson du pain. Le nombre des moulins est aussi hors de proportion avec les besoins.

            Les relations cantonales, communales et paroissiales sont presque nulles : constamment livrés aux occupations les plus rudes les habitants ne connaissent d’autres jours de réunion que le dimanche, et ces réunions n’ont uniquement pour objet de remplir un devoir religieux.(…) Dans ce malheureux pays, il serait superflu d’ajouter qu’on n’y rencontre ni commerçant ni artisan, toute la population est exclusivement occupée à des travaux agricoles.

            Les moyens de transports y sont assez rares, les bœufs consacrés uniquement au labourage (et y sont en petite quantité) pourraient seuls remplir cette destination. Les voitures, toutes à deux roues, sont mal et lourdement construites. Il y a peu de chevaux ; c’est à peine si on trouve quelques ânes de la plus petite taille qui servent de monture aux paysans les plus aisés, encore cette sorte de luxe ne leur est-elle permise qu’à raison de l’extrême sobriété de cet animal, car le pays est généralement dépourvu de fourrage. Le paysan élève quelques cochons qu’il nourrit avec des pommes de terre et des châtaignes. Il les vend ordinairement avant qu’ils aient atteint le poids de 30 kg et leur prix est destiné à acquitter ses contributions et à acheter le sel qui leur est nécessaire. Les bêtes à laine, qui fournissent à son vêtement une étoffe grossière sont de la plus petite espèce, maigre, chétive et sujette à une infinité de maladies.

            Les détails que je viens de donner sur l’état de misère et d’ignorance des habitants font assez comprendre qu’on ne saurait espérer aucune sorte de ressources, soit pour les subsistances des troupes, soit pour le fourrage des chevaux, soit enfin pour la réparation des vêtements, de la chaussure, de l’harnachement des armes et des voitures.

           Si d’un côté il faut convenir que la nature marâtre n’a voulu accorder aux habitants (…) que ce qui est absolument nécessaire pour soutenir leur misérable existence, de l’autre il faut reconnaître qu’elle les a doués d’un caractère doux, complaisant et hospitalier. (…)

            On ne trouve (…) aucun monument appartenant soit à l’antiquité, soit au Moyen Age ; les châteaux de Beauregard et de la Pécoulie dont la construction ne remonte pas à une époque fort reculée (…) sont bâtis dans le plus mauvais goût et nullement fortifiés, soit par la nature soit par des ouvrages d’art, aussi ne seraient-ils d’aucune utilité pour la défense.

           Les communications sont si rares et difficiles qu’en parcourant ce pays, on serait presque tenté de croire qu’il est inhabité. On aperçoit de loin en loin, au travers des bois quelques sentiers étroits et peu battus. Si dans le voisinage des chefs lieux de communes ou des villages, on trouve des chemins vicinaux, ils sont pour la plupart en si mauvais état que dans les temps pluvieux ils sont impraticables, si ce n’est aux voitures du pays pour lesquelles ils ont à peine la largeur nécessaire. L’artillerie ne pourrait donc y passer. Ces chemins usés par la circulation continuelle des charrettes sont presque tous fort encaissés et bordés de broussailles qui les rendent très dangereux pour les voyageurs. Les gorges, les défilés, les ravines se multiplient à chaque pas sur ce terrain inégal et couvert (…). Cependant au milieu de ce pays sauvage, on remarque avec plaisir la route de Paris à Barèges (…). Elle est terminée depuis environ quatre ans. Sa largeur est de dix mètres, mais comme on a négligé de mettre en vigueur la loi sur les essartements, elle est (…) extrêmement couverte par les bois qui la longent et la rendent aussi très dangereuse. Elle a été si habilement tracée que la nécessité d’enrayer ne se fait remarquer nulle part. Cependant la partie par laquelle en venant de Périgueux on arrive à Saint-Mamet, présente un coude aussi désagréable à l’œil qu’il peut être funeste aux voitures. (…) Cette route est pavée en pierraille et en cailloutis recouverte d’un sable terreux.(…) Cette route est extrêmement fréquentée par les malades ou les curieux qui, des provinces du nord, se rendent aux eaux minérales des Pyrénées, et quoiqu’elle soit terminée depuis peu, un roulage considérable s’y est déjà établi, le nombre de voitures qui la parcourent augmente chaque jour.

            Quelle conclusion tirer de ces observations toutes fondées sur la plus scrupuleuse exactitude ? Que les grains que l’habitant recueille seraient bien loin de suffire à ses besoins s’il ne s’imposait pas des privations et une nourriture grossière. Qu’on ne peut dans cette partie du Périgord faire séjourner des troupes, surtout de la cavalerie. Les denrées y seraient promptement consommées. Il faudrait pour les approvisionnements de toutes espèces avoir recours aux productions des contrées plus favorisées.

           Le capitaine Estignard a aussi étudié la route de Périgueux à Bordas et ses commentaires sont à peu de choses près les mêmes.

 Statistiques :

Beauregard

700 habitants

15 maisons réunies dans lesquelles peuvent loger 21 personnes et 15 chevaux

112 maisons isolées dans lesquelles peuvent loger 112 hommes et 29 chevaux

Le château dans lequel on pourra loger 30 hommes et 10 chevaux

Production :

blé (645 hl), seigle (9 hl) , maïs (485 hl), avoine (28 hl);

pommes de terre (450 hl), châtaignes (1800 hl), foin (5600 kg),

vin (14 900 l)

130 bœufs, 5 vaches, 1050 moutons, 200 cochons, 3 chèvres. On exporte 4800 kg de cochons et 9000 kg de moutons.

95 fours privés, 4 moulins à eau.

14 chevaux, 7 ânes

60 charrettes à 2 roues (chargeant 750 kg)

2 cordonniers, 1 tailleur, 1 ouvrier en fer, 3 ouvriers en bois

Campsegret

734 habitants

10 maisons réunies dans lesquelles peuvent loger 10 personnes et 8 chevaux

150 maisons isolées dans lesquelles peuvent loger 150 hommes et 40 chevaux

Production :

blé (1168hl), seigle (12 hl), maïs (608 hl), avoine (36 hl);

pommes de terre (430 sacs), châtaignes (1414 hl), paille (109500 kg), foin (91 250 kg),

vin (14 400 l)

146 bœufs, 8 vaches, 1160 moutons, 260 cochons, 10 chèvres. On exporte 6000 kg de cochons et 10 000 kg de moutons.

83 fours privés, 6 moulins à eau.

15 chevaux, 6 ânes

69 charrettes à 2 roues (chargeant 750 kg)

2 ouvriers en fer, 2 ouvriers en bois, 1 maréchal ferrant

Douville

893 habitants

22 maisons réunies dans lesquelles peuvent loger 40 personnes et 62 chevaux

126 maisons isolées dans lesquelles peuvent loger 170 hommes et 70 chevaux

Une caserne de gendarmerie

Production :

blé (1080 hl), seigle (11 hl) , maïs (740 hl), avoine (45 hl);

pommes de terre (650 hl), châtaignes (2540 hl), paille (9500 kg), foin (8400 kg)

vin (19 500 l)

180 bœufs, 7 vaches, 1540 moutons , 306 cochons, 14 chèvres. On exporte 7400 kg de cochons et 14 000 kg de moutons.

112 fours privés, 1 four de boulanger, 12 moulins à eau.

40 chevaux, 20 ânes

84 charrettes à 2 roues (chargeant 750 kg)

3 tailleurs, 2 ouvriers en fer, 3 ouvriers en bois, 1 maréchal ferrant

Saint-Georges de Montclar

666 habitants

9 maisons réunies dans lesquelles peuvent loger 15 personnes et 11 chevaux

107 maisons isolées dans lesquelles peuvent loger 126 hommes et 28 chevaux

Production :

blé (1115 hl), seigle (25 hl) , maïs (560 hl), avoine (45 hl);

pommes de terre (400 hl), châtaignes (1850 hl), paille (86 250 kg), foin (82 500 kg),

vin (19 850 l)

150 bœufs, 0 vaches, 1350 moutons, 310 cochons, 9 chèvres. On exporte 7500 kg de cochons et 12 000 kg de moutons.

77 fours privés, 1 moulin à eau.

12 chevaux, 8 ânes

72 charrettes à 2 roues (chargeant 750 kg)

3 cordonniers, 2 tailleurs, 1 ouvrier en fer, 2 ouvriers en bois

 Il est signalé ailleurs que la forge de Montclar ne fonctionne pas en raison de «chicanes».

 

Catherine Paoletti

Publié bulletin n°18

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