« La levée d’une maison au 17e s.

QUE SIGNIFIAIT « FAIRE LA LEVÉE » D’UNE MAISON ?

 par Jean Raspiengeas

Construction d’une maison en torchis : devis du charpentier (14 juillet 1662).

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                   Au village de Fournil, paroisse de Saint Laurent de Pradoux, juridiction dudit Fournil en Périgord, le 14ème jour du mois de juillet 1662, environ l’heure de midi a été présent Pierre de Barraud, escuyer, seigneur de Fournil et y demeurant, a donné à sieur Dubois dit Clamens, maître charpentier (1) demeurant au village de Fonleppe, paroisse d’Église-Neuve, juridiction de Mussidan, à construire dans le village de Bouneties et au lieu ou sera montré par ledit seigneur, une chambre avec son grenier et toit par le dessus ayant de longueur quarante pieds, de largeur vingt pieds et dix pieds de hauteur, bien garnie et fournie de piliers, soles, colonnes (2), icelles colonnes de la distances de cinq pouces, poutres, soliveaux et moyens (3) tels qu’il plaira audit seigneur dans ledit bâtiment sauf et excepté l’échelle pour monter au grenier de ladite maison et manteaux de cheminées (4). Sera tenu ledit Dubois entrepreneur de couper au pied tous les arbres nécessaires et rendre ladite chambre prête à lever (6) et mettre en état de latter (6) le tout dans le 8 septembre prochain. Ledit seigneur a promis et sera tenu de faire porter tout le bois et pierre nécessaire sur le lieu où devra être bâtie ladite chambre, fournir le nombre d’hommes nécessaire pour faire la levée (5) de ladite chambre, outre et par-dessus ledit Dubois et ses gens tous lesquels ledit seigneur sera tenu nourrir le jour de ladite levée et en outre a promis et sera tenu ledit seigneur de donner audit Dubois la somme de 120 livres en argent ou autres choses équivalentes pour la nourriture dudit Dubois et ses gens, payables pendant qu’il fera le travail et selon qu’il l’avancera et pour tout ce que dessus faire tenir et entretenir, lesdites parties ont obligé…

               1. Le charpentier qui réalisait de telles constructions s’appelait aussi « colondrier », du nom des pièces de bois qui constituaient la carcasse des parois, les « colondres ».

                   2. Point de fondations pour ancrer la maison au sol ; aux coins de la future demeure, des poteaux nommés « piliers » dans cet acte, mais prenant aussi parfois le nom de « cantons », reposaient verticalement sur de grosses pierres, les « assises » ou « silex ».

                   Une poutre transversale reliait le bas des piliers, à proximité du sol, c’était la « sole ».

                   Les pièces de bois verticalement emboîtées et chevillées dans la sole et dans le « tirant » qui joignait le haut des piliers étaient appelées « colonnes », « colondres » ou « colombes ». Le devis stipule qu’elles devraient être distantes de 5 pouces, soit environ 13, 5 cm.

                   3. Les poutres et les soliveaux constituaient la charpente. Quant aux « moyens », plus souvent appelés « mitoyens », terme auquel le dictionnaire de Mistral donne le sens de « cloison », il devait s’agir des structures de bois qui séparaient les pièces de la demeure.

                   4. La construction de la cheminée exigeait l’emploi de briques pour l’âtre et de pierres pour les « manteaux ». Le tablier pouvait, quant à lui, être fait d’une grosse poutre.

                   5. Ne devant reposer que par ses piliers sur des blocs de pierre, l’assemblage de bois de chêne, fort lourd, était bien difficile à réaliser verticalement. Aussi le colondrier emboîtait et chevillait les panneaux à plat, sur le sol. Restait à redresser et à rendre les quatre murs solidaires, ce qui demandait l’effort d’une main d’œuvre importante.

                   C’est pourquoi le devis stipule que le propriétaire sera tenu fournir le nombre d’hommes nécessaires pour faire la levée de ladite chambre, outre et par dessus ledit Dubois et ses gens, tous lesquels ledit seigneur sera tenu nourrir le jour de ladite levée. Au sol, la dimension des bois, les chevilles et tenons d’assemblage, toute la préparation des parois et de la charpente devait avoir été faite minutieusement pour que le montage prévu pût s’effectuer en une seule journée.

            6. Avant que ne vienne le couvreur, il restait à maître Clamens à fixer les planches appelées « lattes » sur la charpente, indispensables pour poser les tuiles plates ou creuses.

Pour finir la maison

            Par la suite, on peut suivre l’avancemment des travaux sur le livre de comptes de Pierre de Barraud :

            – En février 1663, achat de pales, serrure qui ferme dehors et dedans, gros verrous, fiches targettes, pommelles avec leurs gonds qui coûtent ensemble la somme de 24 livres 10 sols donnée à maître Versane, ferronnier.

            – Le 17 mars, la pose de deux croisées, deux portes, quatre demi petites croisées, est payée 36 livres à maître Mathieu menuisier.

            – Le mardi 20ème de mars 1663, je donne 8 livres d’avance au Rousseau, recouvreur, sur les quarante livres que je dois lui donner pour remplir le dessous de toutes les soles du bâtiment (7) que je fais aux Bonneties, faire tout le torchis (8) de la maison, celui de dessus les poutres et souliveaux, carreler (9) les deux chambres et griffonner (10) le tout dehors et dedans et blanchir (11).

– Le 15ème d’avril, j’ai fait marché avec maître Lavigne, maçon, pour la façon de deux cheminées qu’il me doit faire au bâtiment des Bonneties (12) et lui dois donner pour toutes les deux 38 livres avec les matériaux sur les lieux.

            7. Quand le charpentier avait fini son travail, il restait un espace d’une vingtaine de centimètres entre la sole, pièce de bois reliant le bas de deux piliers et le sol. On devait alors boucher cet intervalle avec des détritus solides, pierres, morceaux de briques ou de tuiles.

            8. Le devis ci-dessus n’en fait pas mention, mais entre les colonnes il fallait caler des morceaux de bois, les « croisillons » ou « étrésillons », pour fixer le torchis qui viendrait remplir les vides du colombage. Pour fabriquer ce torchis, on tordait de la paille de seigle ou des joncs. C’est le Rousseau, « recouvreur », qui glissera ces torches entre les croisillons pour obturer les intervalles à la façon d’un tissage grossier, puis les couvrira d’une première couche de terre grasse jaunâtre, la « terre maçonne », tant au dehors qu’au dedans.

            9. Le même ouvrier posera les carreaux de terre cuite à même le sol de terre battue sur une simple couche de chaux.

            10. Il appliquera une deuxième couche d’enduit sur les deux côtés des parois, en mélangeant pour le dehors « terre maçonne » et morceaux de paille ou de joncs, tout en laissant le colombage apparent. On obtenait ainsi un matériau certes peu résistant aux chocs mais très efficace pour l’isolation grâce à l’air qu’il emprisonnait, les brins dépassant à l’extérieur jouant en outre le rôle de « gouttes d’eau » pour évacuer l’eau de pluie.

            11. A l’intérieur de la maison, les murs étaient blanchis à la chaux, colombage compris. Aux Bonneties, le seigneur de Fournil avait fait transporter ce produit à plusieurs reprises soit de Saint-Géry, soit des Bittarelles, de chez le tuilier Jean Pommier dit Bonvrayment, toujours avec la « baste » comme unité de mesure de capacité.

            12. Pierre de Barraud avait acheté, à Mussidan, chez Giron Marchant et Héliot Roumieu des pierres venant des carrières qu’on voit encore le long de la route de Bergerac. Peut-être certaines servirent-elles à l’édification des cheminées des Bonneties ?

Aujourd’hui

            La demeure de 1662, flanquée de la grange construite par le même Jean Dubois sur les ordres du seigneur de Fournil l’année suivante, semble encore debout, au village des Bonneties, commune de Bosset. Les modifications apportées, les travaux de rénovation effectués ne permettent cependant pas de retrouver l’image authentique des constructions initiales.

                                                                                             Jean Raspiengeas

Publié dans le bulletin n°12 (Nov 2002)

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