Note sur le protestantisme dans la vallée de la Crempse

Publié dans le bulletin n°28

Le protestantisme dans la vallée de la Crempse n’a jamais été réellement étudié. Les archives publiques sur le XVIe siècle sont rares. Pourtant les deux têtes de pont de la vallée sont des fiefs reconnus du protestantisme, Mussidan et Villamblard. Leurs seigneurs, les Lur Longa, sont protestants. La dame de Villamblard, poursuivie par les catholiques jusqu’en haut de la tour du château, est évoquée dans une chanson célèbre en Périgord.
On ne sait pas quand exactement le protestantisme arrive dans la vallée mais on peut supposer qu’il s’installe aux mêmes dates qu’à Bergerac,  vers 1539-1540.

D’un point de vue géopolitique, la situation de la vallée est intéressante.
La châtellenie de Mussidan est protestante,  celle de la Force aussi, de même que la  seigneurie de Fournils. Le protestantisme est présent à Bergerac, Neuvic et à Villamblard. Seule reste au centre Montréal (Issac) qui est catholique à l’image de son seigneur, Pontbriant. Les documents sont défaillants concernant Mussidan. Entre 1542 et 1562, on ne sait pas grand-chose ; les archives sont muettes. Des mentions concernant la vallée de la Crempse évoquent l’activité des protestants vingt ans après l’introduction de cette nouvelle religion.
Le parlement de Bordeaux est averti qu’en août 1560, à Mussidan, il se fait des assemblées… les disciples du dit Meymy sont si bien armés et accompagnés d’arquebuses que les protestants mussidanais se sentent  protégés contre les exactions des catholiques stimulés par les Guise omniprésents auprès du roi François II. Le 25 avril 1561, plusieurs de la ville de Périgueux, la plupart  étrangers ou nouveaux venus, furent à la Feuilhade appartenant au sieur de Meymy, ouyr un ministre appelé Boyssier.
Un personnage important, le protestant, Armand Clermont de Piles, prend et reprend la ville de Mussidan. Blaise de Monluc, lieutenant général de Guyenne, informé de sa prise, en février 1562, se préoccupe de reprendre la ville et le château pour les remettre aux autorités royales. Monluc signe une commission à Agen datée du 6 mars 1562 pour faire mener des vivres devant Mussidan pour l’entretenement des gens d’armes et rassembler les compagnies pour oster les séditieux, rebelles et desobéyssants audict seigneur de la ville et chasteau de Mussidan en Périgort.
La victoire de Vergt du 9 octobre 1562 par les catholiques freine l’ardeur des protestants. Après cette bataille, Monluc et Charles de Coucy, comte de Burie, se dirigent vers Mussidan pendant que leur armée campe à Grignols : Après cette victoire, nous marchâmes droit à Mussidan. Monsieur de Burie se mit devant pour faire la révérence à Montpensier et laissâmes tout le camp à Grignaux, à deux ou trois villages qu’il y a entre Mauriac et Mussidan. Une légende parle d’un revers infligé par le sgr de Duras à 500 soldats catholiques campés au sud d’Emburée. Surpris, ces soldats sont tous massacrés. Le  lieu s’appelle selon M. Lachaud le champ des Trépassés.
Le 15 janvier 1563, profitant de l’absence de Monluc, La Rivière et Clermont de Piles se saisirent  derechef de la ville et château de Mussidan. (…) escalada de nuict la ville et chasteau et s’en rendit maistre accompagné d’un petit nombre de gens. De nuit, donc, Clermont de Piles se présente sous les murs de la ville et escalade à l’aide d’échelles les remparts du château, surprenant la garnison endormie qu’il massacre. Selon Roumejoux, les protestants arrivent en masse. Piles, audacieux et fin stratège à la tête de 40 chevaux, défait le sénéchal du Périgord sans combat à Sourzac et tente de prendre Bergerac pour la deuxième fois en faisant une brèche dans ses  fortifications, le 12 mars 1563. Après la prise de Bergerac, il revient à Mussidan où il achève les nouvelles fortifications, réunissant des vivres et des munitions afin de résister à Monluc.
Les habitants de Périgueux craignent un voisin aussi turbulent. Les maire et consuls de la ville écrivent à Monluc pour le supplier de les délivrer de cette menace permanente. Monluc envoie quatre pièces d’artillerie devant Mussidan pour l’assiéger. Mais l’Edit de pacification du 17 mai 1563 arrête le siège et Monluc abandonne la place.
La vallée oscille régulièrement  entre protestantisme et catholicisme. Pierre de Blanchier, juge mage de Sarlat, conseiller à la cour des aides de Périgueux, est fait prisonnier et emmené par les Huguenots à Mussidan le 10 mars 1563.

Après les ravages des premières guerres de religion, la peste décime les populations périgourdines de septembre à la fin l’an 1564.

Le 10 août 1565, Charles IX et sa mère, Catherine de Médicis, lors de leur Voyage, traversent Mussidan et l’Isle pour se rendre à Ribérac. La veille, ils avaient dîné au château de Longa, situé dans la paroisse de Saint-Médard-de Mussidan, où ils rencontrent Jeanne de Cardaillac et son fils, Michel de Lur.
Les villes  de Bragerac, Sainte-Foy, Mussidan et Montauban ont  servy de retrette et de clapier aux rebelles. Le maire de Périgueux Antoine de Chillaud, seigneur de Prompsault, presse Montluc de  dénicher les huguenots de Mussidan.

Chevalier de Cablanc note que la garnison de Mussidan ne s’endormoit pas … elle faisait des courses d’un costé et d’autres. Elle est commandée par le capitaine Cheylard  avec l’aide du curé de Marsaneix qualifié par Chevalier de Cablanc de fameux renégat. Elle aurait exercé des cruautés sur les catholiques de Bergerac. En face d’eux, Périgueux est défendu par le sieur de Causé et le capitaine de Puyferrat.

Plusieurs témoignages divergent  pour la prise de Mussidan en 1569. Le premier indique que les protestants de Mussidan sont battus et taillés en pièces, le 9 mars 1569. Beaucoup sont emprisonnés à Périgueux.  Or dans un même temps, la garnison de Mussidan bat celle du château de Montréal.
Un deuxième avis est relaté par le chanoine François de Sireuil dans son journal. Monluc est sous les murs de Mussidan avec deux ou trois canons. Il fit bresche  à la murailhe de la ville et sans autre exploit leva le dict siege  dans peu de jours avec perte de cent hommes ou environ qui furent tués ou pris. Il part pour Sainte-Foy, sur ordre du duc d’Anjou, afin d’empêcher les Provençaux de passer la Dordogne et de rejoindre Coligny. Dès que Monluc revient à Longa, près de Mussidan, il demande à Périgueux deux pièces de campagne et un canonnier, de la poudre, des boulets, des pionniers et des vivres. Le sieur de Marsaguet  se met en campagne avec le canon. Les catholiques commandés par François des Cars, lieutenant du duc d’Anjou, mettent le siège devant la ville. Le 23 avril, Mussidan est assiégé par Pérusse des Cars. Le 27, le sieur de Pompadour est tué par un coup de mousquet. Le 28, Timoléon de Cossé, comte de Brissac et colonel d’infanterie, meurt à l’âge de 26 ans, d’un coup d’arquebuse tiré par Charbonnière. Ce fait d’armes est relaté par Brantôme dans « LaVie des hommes célèbres et grands capitaines français » : Un bon soldat périgourdin le tua qui était dedans, qui s’appelait Charbonnière lequel était à moi et de ma compagnie et était un des meilleurs et plus justes arquebusiers qu’on eut su voir et ne faisait autre chose léans sinon qu’étant assis sur un petit tabouret et la plupart du temps y dînait et soupait regardant par une canonnière, que tirer incessamment, et avait deux arquebuses à rouet et  une à mèche, et sa femme et un valet  près de lui, qui ne lui servait que de charger ses arquebuses et lui de tirer,  si bien qu’il en perdait le boire et le manger.  Il fut pris et Monsieur le frère du Roi le voulut voir, et, pour avoir tué un si grand personnage, commanda qu’il fut pendu. J’avais grande envie de le sauver mais je ne pus, encore que je l’eusse fait évader une fois par une fenêtre, mais il fut repris, bien que j’eusse un grand regret du dit comte, car je l’aimais beaucoup. Ainsi Brantôme fait de Charbonnière un être légendaire.

En apprenant la mort de son frère aîné, Louis de Pompadour, gouverneur du Limousin, prend part à la prise de Mussidan. Le 29 avril, la ville est assiégée et reprise. Michel Bourgoing dit Mouraud et Bertrand, le prêtre de Marsaneix, sont roués sur la place de la Clautre à Périgueux. Le frère du curé de Marsaneix et le Bizouard sont pendus et brûlés.
Le 30 avril, les protestants retranchés veulent capituler. Le 2 mai, le château est pris et ses religionnaires sont tous tués. De Thou cite deux florentins tués également,  appelés Baptiste Carnesecchi et Louis Alamani. La garnison s’est rendue contre la vie sauve, au lieu de cela ils sont massacrés.  La ville est entièrement brûlée. Sireuil écrit que la ville et le château ont été rasés jusqu’au fondement. C’est peut-être pour cette raison que le dernier château a été reconstruit dans la partie basse de la cité.
En février 1570, La Vauguyon avec le régiment de Sarlabous est aux environs de Montpon et Mussidan avec trois compagnies de gendarmes.
Après la bataille de Coutras (20 octobre 1587) gagnée par les protestants, Henri de Navarre charge Turenne de soumettre le Périgord. Sourzac et son abbaye se rendent après un siège de six jours. En 1588, un ligueur, le capitaine Bonnet, s’introduit dans Sourzac avec huit soldats travestis en paysans  conduisant des charrettes. Il fait baisser le pont-levis par ruse. Bonnet se rend maître de la place. Les ligueurs s’emparent  également de Mussidan.
En juin 1591, le vicomte d’Aubeterre et Jacques Nompar de Caumont la Force  mettent le siège devant Sourzac. Le village est canonné par quatre pièces d’artillerie et les protestants délogent les ligueurs. Le siège dure 10 jours.

Les temples
Jeanne de Cardaillac, dans son testament en 1575, lègue 200 livres pour la construction d’un « temple » à Villamblard, sans précisions. L’argent servira en fait à la construction de l’église vers 1620. Un pasteur Baysselance exerce au temple de Barrière (Villamblard) à l’entrée du château.
A Mussidan, un temple est installé, sur la place, à proximité de Notre-Dame du Roc, église castrale.
Jean Gommarc, ministre de la R.P.R. de Mussidan,  est reconnu coupable de différentes atteintes à l’exercice de la religion catholique entre 1679 et 1685. Ce pasteur, âgé de 34 ans, est né à Verteuil en Charente, habite depuis 1679 dans le château, hébergé par la famille Caumont La Force. Avant ce ministère, il est d’abord pasteur du Bugue puis de La Force.

Les premiers actes de baptêmes protestants de la vallée datent de 1575. Les patronymes les plus représentés sont ceux de Chaussade et Moze. En dehors de Mussidan, c’est à Villamblard que l’on trouve le groupe le plus important de protestants  sous l’influence de la famille de Lur Longa. Jeanne de Cardaillac, veuve de  Bertrand de Lur,  a reçu Calvin au château et  transforme la chapelle en temple. En 1591, Anne Raguier, épouse de Michel de Lur, défend le château en se jetant dans les fossés pour ne pas se rendre. Cinq de ses enfants sont baptisés au temple de Mussidan.

Le 8 octobre 1675, le juge mage de Périgueux oblige les ministres de la RPR de Mussidan de procéder incessamment aux publications de mariage entre Simon de Villepontoux, écuyer, sieur de Jaure et demoiselle Suzanne de Seignac sous peine de 1000 livres d’amende. Suzanne de Seignac est veuve d’Elisée de Cosson, écuyer, sieur de la Motte, depuis 24 septembre 1675. Le consistoire de l’église prétendue réformée de Mussidan après avoir proclamé les premiers bans a refusé d’en faire la continuation sans aucun prétexte ni raison. Les délais de viduité ne sont pas observés, semble-t-il ?

En 1680, l’église de Notre-Dame du Roc et le temple de Mussidan sont si proches qu’il y a  des problèmes relationnels entre les deux entités.
L’affaire débute avec un série d’abjurations provoquées par un dominicain. Le père Augustin Roger veut prêcher le carême à Mussidan. Le curé de Saint-Georges et de Notre-Dame-du-Roc, Bernard Spert, compose avec les protestants. L’abjuration de Nathanaël Guilhard, sergeur, obtenu le 11 avril 1680, et la procession pendant le prêche du pasteur organisée par  le zélé  dominicain mettent le feu aux poudres. Le moine provoque la communauté calviniste en obtenant le 4 mai suivant l’abjuration de Pierre Chastanet, fils d’un marchand de Mussidan. Le 14 septembre de la même année, le pasteur Gommarc et les frères Latané sont condamnés à une amende de 600 livres. Cette somme servira  à la réparation de la chapelle [de Notre-Dame du Roc ?]
En 1680, Charles de Taillefer, seigneur de la Salvetat, lègue dans son testament 150 livres aux anciens de l’église réformée de Bergerac. Par la suite, cette somme sera donnée aux syndics de l’hôpital général de la ville conformément à la déclaration royale du 15 janvier 1683.
Le 24 avril 1684, le laboureur Guillaume Bellanger et Pernelle Sarrette  habitant Perpigne à Villamblard vivent depuis plus de quatorze ans « comme mari et femme ». Leur mariage protestant n’est pas reconnu.
Après 1683, les protestants de la vallée de la Crempse se font baptiser au temple du château de la Force, le seul qui ne soit pas détruit, le seul qui perdure après la révocation de l’Edit de Nantes (1685) malgré un arrêt de destruction  pris dès 1679.
Le 3 avril 1684, Henry Dubordier, écuyer et sieur du Mayne, époux de Lydie de Bideran, font baptiser le fils Matthieu au  château de La Force. Le couple réside à Pomport dans la paroisse de Beauregard. Le parrain de l’enfant est Matthieu de Bideran, écuyer, sieur de Lamonzie ; sa marraine est Jeanne Dubordier, épouse du sieur Garrigue,  habitant Cause de Clérans.

Le temps des  abjurations
Le 22 septembre 1670 Anne Loreilhe abjure à Saint-Mamet en assurant quelle estoit marrye et repentante d’avoir tant optée dans cette prétendue religion huguenote. L’abjuration s’est faite devant le prieur et curé du Pont-Saint-Mamet, Dumoulin, en présence des sieurs Davigne et Reynal. Anne convole en justes noces le 2 décembre suivant avec Joseph Dubois, sieur de la Chaume, habitant de la Chaume, paroisse de Saint-Mamet.
Le 8 avril 1675, Marie Moncet, de religion protestante, fille de feu Petit Jean et de Marguerite Pradié, habitante de Lembras, abjure dans la chapelle du prieuré du Pont-Saint-Mamet, assistée de ses employeurs, Jacques Castaing, seigneur de la Roussie et de sa femme  Judith Jeammes, tous les deux anciens de l’Eglise Prétendue Réformée
Le 15 septembre 1744, un mariage est célébré à Saint-Mamet entre Jean Eyma de Boisse et Marguerite Augeard, fille d’un bourgeois de Bergerac. L’époux est d’une famille protestante. Alors que l’intolérance religieuse règne en Bergeracois, il a fallu un prêtre conciliant ou  beaucoup de convictions  de la part de proches pour que ce mariage se fasse.
Les Loreilhe enterrent un enfant dans leur métairie de la Vaysse  dès 1792 au moment où les curés ne tiennent plus les registres d’état-civil.
Les protestants villamblardais les plus connus sont Théophile Durieu,  époux de Marie de Cosson, du Cluzeau, Jean Ouradour aux Faures, André Pinet, Loreilhe aux Cabanes, famille que l’on trouve aussi  à Lestaubière, Douville. Les cinq familles protestantes  de Beleymas  sont alliées avec la famille Lespinasse de Gammareix : Chonet, (1682), Du Bocquet de Perpigne à Villamblard (1660), Bouquet de Bourgnac (1681), Helies de Saint-Julien-de-Crempse (1598), Labarre à Villamblard (1583). Les Dubordier de Pomport à  Beauregard sont calvinistes jusqu’à 1685 au moins.

Ghislaine Lajonie

Bibliographie

  • Brantôme. Mémoires  sur la vie des hommes célèbres et grands capitaines français
  • Dujarric-Descombes, A. Mussidan et les guerres de religion. Périgueux, impr. de la Dordogne, 1904
  • La Serve, Jacques de. Quelques remarques sur les protestants de Mussidan au XVIe et XVIIe siècles  dans Colloque  de Montréal et Mussidan, 9 et 10 septembre 1995. Eglise-Neuve-d’Issac, Amicale laïque de Mussidan et Fédérop, 1996
  • Monluc, Blaise de. Commentaires. Paris Gallimard, 1964. (Bibliothèque de la Pléïade)
  • Roumejoux, de. Essai sur les guerres de religion, dans Bulletin de la Société historique et archéologique du Périgord, 1903
  • Vaucheret, C. Villes et localités du Sud-Ouest de France et de Languedoc dans les Mémoires de Brantôme dans Avènement d’Henri IV quatrième centenaire, Colloque 2, Bayonne, 1988. Pau, association Henri IV, 1989.

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