Publié dans le bulletin n°29
Waïfre, princeps et dux d’Aquitaine de 745 à 768, est intimement lié au Périgord et au château de Roussille, sis dans la commune de Douville.
Waifre, personnage mythique à la fois célèbre et méconnu et surtout symbole de l’Aquitaine indépendante, a laissé son empreinte depuis le lointain Moyen Age jusqu’à nos jours, de la Dordogne au Quercy, du Limousin à l’Auvergne grâce à une légende tenace. Le toponyme Gaifier, autre forme de son prénom, est donné à plusieurs de ses châteaux mais aussi aux abris troglodytiques aquitains qui lui servent de caches provisoires lors des guerres contre ses ennemis Francs et Arabes, à une motte de Gaifier en Dordogne. Le château-fort de Muratel, dont il reste encore des ruines sur la commune de Beauregard-et-Bersac, serait une possession du duc.
Pour l’indépendance de l’Aquitaine
Des troubles qui débutent avec la naissance du duché d’Aquitaine font de Waïfre l’héritier d’un conflit ancestral et familial avec les Pippinides.
Le duché d’Aquitaine s’est constitué en 675 à la mort de Childéric II. Les ancêtres de Waifre ont peu à peu investi l’Aquitaine en fédérant les Gascons et les Basques. Boggis devient duc en 668 cherchant à se détacher du royaume franc et donner l’indépendance au duché. Les Aquitains ne cessent de repousser l’hégémonie des Francs. Il faut bien admettre que les Aquitains et les Francs sont deux peuples que tout oppose, la langue et les coutumes.
Eudes (675-735) succède à Loup, duc de Gascogne, tué en 675. Comme ses prédécesseurs, il s’oppose aux Francs conduits par Charles Martel sauf lors d’un court intermède au moment de l’invasion arabe. Pris en tenaille entre les Francs et les Arabes, il fait appel à son ennemi, Charles Martel. Cette alliance de circonstance sera victorieuse des Arabes le 25 octobre 732 à Moussais près de Poitiers. La défaite se solde par la mort du chef arabe, Abd-el-Rhâman. Cette victoire est aussi la première défaite des Aquitains. Eudes est assassiné en 735. Son fils Hunaud ou Hunald (705-774) lui succède. Avec son frère Hatton, Hunaud se révolte. Tout reste à refaire pour Charles Martel. Le nouveau duc, trompant son frère le fait venir à Poitiers où il lui fait crever les yeux et enfermer dans le but de garder l’Aquitaine une et indivisible. Il abdique en 745 et se réfugie dans un monastère de l’île de Ré. Son fils Waïfre devient dux et princeps d’Aquitaine.
Waïfre, duc et prince d’Aquitaine
Le continuateur de Frédégaire appelle ses prédécesseurs dux mais accorde à Waïfre le titre de princeps. Ce titre s’accompagne de deux principes royaux. Le premier est la prestation de serment de fidélité et le second la frappe de monnaies au nom des rois d’Aquitaine.
S’ajoute à ces symboles un anneau d’or portant une matrice gravée d’une inscription : + GRAIFERIUS UTERE FELIX autour d’une figure. Cette bague d’un poids de 18 gr 09 se trouve actuellement à Zurich.
Le GR pris pour W est courant. Le terme germanique latinisé en Waifarius a donné en français Gaifier. Il s’agit bien du sceau royal de Waïfre trouvé près de la crypte de Saint-Martial de Limoges.
Le duc porte également autour des cheveux un diadème.
Waïfre, en héritant du titre de princeps, hérite aussi des inimitiés des Francs.
Waïfre et Pépin le Bref
Pépin le Bref, fils de Charles Martel, soumet la Septimanie en 759 ce qui irrite le duc. Le roi franc convoite l’Aquitaine. Des prétextes ne manquent pas: Waïfre donne asile à Griffon, frère de Pépin et s’empare des propriétés des églises franques sur le territoire aquitain. A partir de 760, commence une guérilla de huit années pour la conquête de ce territoire avec des raids sanglants.
En 767, Pépin décide la conquête définitive du reste de l’Aquitaine et des forts où Waïfre se cache, passant d’une demeure à l’autre pour se protéger de ses ennemis. Son oncle Remistan vient à son secours après avoir pris le parti de Pépin trois ans plutôt.*
Remistan prend la tête des armées de son neveu et attaque les Francs lors de nombreuses incursions dans le Berry et le Limousin. Pépin décide d’attaquer tous les repaires d’accès difficiles et détruit les châteaux de Scoraille, de Peyrusse et de Turenne. Il ne réussit pas à déloger Waïfre et voyant l’hiver arriver regagne Bourges.
Pépin repart en campagne en février 768 afin de capturer Remistan et Waifre son neveu grâce à l’aide de plusieurs comtes. Remistan est pris avec sa femme et amené à Saintes où séjourne Pépin. Jugé immédiatement, il est pendu comme un gueux. La mère, la sœur et les nièces de Waïfre sont épargnées. La légende raconte qu’elles auraient été enlevées dans la forêt de Vergt, dans le château de Roussille à Douville. On sait qu’une grotte naturelle humide existe sous le château permettant de rester caché longtemps.
Waïfre, méfiant, change de cache régulièrement. Pépin soudoie quelques uns de ses domestiques. Waratton, un de ses serviteurs, l’assassine dans son lit au cours de la nuit de 2 juin 768 en forêt de la Double. Le continuateur de Frédégaire écrit que Pépin a été publiquement accusé d’être le meurtrier de Waïfre. La Chronique de Saint-Denis précise que Pépin a prélevé sur la dépouille du duc ses bracelets d’or garnis de pierreries pour les suspendre comme un trophée de guerre à la grande croix de l’église. Ces bijoux font toujours partie du trésor de Saint-Denis. Selon l’historien Adhémar de Chabannes, Pépin a offert à l’église Saint-Martial de Limoges la bannière d’or du duc appelée les bans gaifiers. Plusieurs sources d’époque féodale et post–féodale évoquent ces trésors.
Le lieu d’inhumation de Waïfre est inconnu. Plusieurs hypothèses ont été envisagées. Son corps aurait été transporté près de Bordeaux dans un lieu marécageux où a été édifiée la Chartreuse. On évoque aussi l’église Sainte-Croix. Un autre lieu de sépulture possible est la motte de Vaudu, commune de Saint-Aulaye. On pense aussi à la crypte de Saint-Martial de Limoges, autrefois église de Saint-Sauveur où a été trouvé son sceau. Ce dernier lieu paraît le plus plausible. Certains auteurs contemporains osent affirmer que Pépin est l’assassin et Waratton son bras armé: c’est une tache qui ternit beaucoup les grandes qualitez de ce roi ajoutant qu’on ne sçauroit l’excuser des ravages infinis que ses troupes causèrent durant cet intervalle dans toute l’Aquitaine. En 1937, Auzias* prétend que les ravages de Pépin en Aquitaine sont tels que pendant plus d’un siècle, les Aquitains ne subiront qu’avec une répugnance indicible le joug franc et profiteront de toutes les occasions pour manifester leurs volontés séparatistes.
Les sources carolingiennes présentent le duc comme un rebelle peu favorable aux Francs mais verront l’hégémonie de Pépin comme légitime. Cependant d’autres voix s’élèvent pour reconnaître que Waïfre est un être droit, fier et courageux face à l’usurpation dont il a été victime. Waïfre, héros national pour les Aquitains, est le symbole d’une résistance héroïque qui a marqué nos mentalités.
Son pire ennemi, Pépin, meurt d’hydropisie le 24 septembre suivant ne profitant guère de sa victoire. Son royaume sera partagé entre ses deux fils, Charlemagne et Carloman. L’Aquitaine fait partie des possessions de Charlemagne. Les deux frères ne vécurent pas longtemps en bonne intelligence. L’Aquitaine s’agite à nouveau et le vieux roi Hunaud, frappé par la mort de son fils, sort de sa réserve. Il décide de le venger et de s’affranchir du joug des Francs.
Charlemagne marche avec ses armées vers Angoulême, oblige Hunaud à prendre la fuite et à passer la Garonne. Charlemagne s’arrête au bord de la Dordogne près de la confluence avec la Garonne. Vic et Vaissette, dans l’Histoire générale du Languedoc, indiquent que Charlemagne envoya des ambassadeurs au duc Loup de Gascogne. Il lui demande de livrer Hunaud, ducatus d’Aquitaine, le menaçant d’envahir le duché et de le mettre à feu et à sang. Loup, apeuré par la détermination de Charlemagne, se soumet, livre Hunaud et sa femme et renouvelle son serment de fidélité. Pendant deux ans, on ne sait pas ce que devient Hunaud mais on le retrouve en Italie auprès de Didier, ennemi de Charlemagne. Il meurt au siège de Pavie en 774. On peut penser que la rébellion des Aquitains va cesser.
Le fils de Waïfre responsable de la mort de Roland à Roncevaux?
Une partie de la Catalogne, après avoir choisi la France, demande à Charlemagne de la soustraire à l’obéissance du roi de Cordoue. Charlemagne, avec les mêmes visées hégémoniques que ses prédécesseurs, marche vers les Pyrénées avec une puissante armée, s’arrête à Casseneuil avec son épouse Hildegarde, pour les fêtes de Pâques. Il se dirige vers la Gascogne et la Navarre. Il bat les Sarrasins, prend Pampelune, traverse l’Ebre jusqu’à Saragosse. De retour vers la France, il est battu par une troupe de Gascons dirigée par Loup à Roncevaux en 778 selon certains historiens français et espagnols. Cette bataille est célèbre par la mort de Roland. Charlemagne fait pendre immédiatement le duc Loup. Or selon la légende locale, Loup aurait fini sa vie incarcéré. Ses enfants, pris en otage, reçoivent une éducation franque.
Dans le tome 9 de L’Art de vérifier les dates, les faits, les chartes, les chroniques… il est fait mention que Waïfre laisse un fils, Loup. Sa femme, Adèle de Gascogne, est fille de Loup, fils d’Hatton, frère d’Hunaud. Ce Loup, fils de Waïfre étaient à la tête des Gascons qui surprirent et battirent à Roncevaux, l’an 778, l’arrière-garde de Charles qui revenait d’Espagne… Loup avait deux fils, Aldaric et Loup-Sanche.
Après de nombreuses lectures, il est impossible de savoir si Loup, fils de Waïfre est la même personne que Loup de Gascogne, petit-fils lui aussi d’un Loup.
Les historiens reconnaissent que Waïfre, prince courageux, s’est opposé à une guerre exterminatrice menée par un usurpateur dont le seul mobile est celui de s’emparer du duché d’Aquitaine. Le duché s’étend alors de la Loire à la Garonne et à l’Auvergne. Waïfre représente l’indépendance des Aquitains, la rébellion et la résistance à l’envahisseur.
Ce héros légendaire a inspiré les auteurs médiévaux. Trois cycles de poèmes aquitains évoquent leurs ducs : Eudes devient Yon de Gasgogne, Hunald Huon de Bordeaux, Waïfre Gaifier de Bordeles. Il inspire un dramaturge en 1843 et se retrouve dans la Légende des siècles. Nerval l’évoque comme le prince d’Aquitaine à la tour abolie.
Ghislaine Lajonie